dimanche 6 janvier 2013

Partir... ou fuir

CC Flickr par Luis Hernandez
C'est une amie qui le disait l'autre jour : "Mi entorno está enfermo". Son entourage est malade, pas de la grippe, mais de la crise. C'est vrai qu'avec les années, dans un pays qui devrait compter six millions de chômeurs en 2013, on finit par en connaître, on voit de plus en plus de gens qui craignent pour leur emploi, on entend parler de pratiques abusives de la part de patrons qui savent que n'importe qui est remplaçable. Ça va des baisses de salaires aux exigences démesurées, des changements d'horaire au pur et simple licenciement pour un retard. Le chômage finit par affecter non seulement les chômeurs, mais aussi les travailleurs, curieusement, rendant les conditions de travail exécrables. C''est ce que me disait très justement un ami anglais : "Spain is the best for living, but the worst for working".    

Dès lors, pour tout travailleur, c'est la tentation de Venise, ou plutôt, la tentation de Berlin, de Londres, de Paris ou de Buenos Aires. Partir, recommencer sa vie. Chercher dans sa branche, mais ailleurs. Ou envoyer paître l'Espagne et partir sans diplôme ni ressources, avec la seule chance pour compagne. Dans mon entourage aussi, 2012 a tout chamboulé.

L'avenir se raccourcit

Il y a bientôt dix ans, je partais aussi de Paris, mais pour m'installer six mois à Casablanca. C'était ma première expatriation, ma première vie à l'étranger. Or, parmi les choses qui m'ont le plus frappé au Maroc, c'est sans doute le fait que peu de gens avaient vraiment la chance de pouvoir faire des projets, comme s'installer ailleurs. Les conditions matérielles définissent plus souvent les choses et, quand on doit lutter jour après jour juste pour pouvoir se nourrir ou se soigner, on est alors dans l’impossibilité de songer à des choses plus abstraites comme fonder un foyer ou partir au Japon. Cela m'avait frappé surtout en rentrant en France. Je voyais alors combien mes amis parisiens avaient le luxe de pouvoir se projeter dans un, deux, trois voire cinq ans.

En Espagne, l'avenir s'est ainsi peu à peu raccourci. De pouvoir se projeter dans les années qui viennent, tout le monde a fini par vivre un peu au jour le jour. Parce qu'on ne sait jamais ce qui peut arriver, n'importe qui peut perdre son emploi, son mariage, sa maison. Une telle ambiance ne peut que pousser certains à partir... ou à fuir.

Prendre son aller simple

Partir, c'est chercher une autre vie, sans doute meilleure, des conditions de travail plus agréables, un salaire plus élevé. Partir, c'est se préparer, se faire des bagages de diplômes et  de connaissances aptes à nous aider "sur place". Et malheureusement, aujourd'hui, beaucoup de jeunes espagnols partent. On les regroupe souvent sous le nom "la génération la mieux préparée de toute l'histoire de l'Espagne", ces jeunes-là : des scientifiques, des ingénieurs, des architectes, des professionnels de santé qui, tous, se retrouvent aujourd'hui face à une société qui leur est fermée. Pour beaucoup d'entre eux, des années de recherche d'emploi les a poussés à prendre leur aller simple. Et pour beaucoup d'entre eux, ça marche : on a récemment appris que 50 000 Espagnols avaient trouvé un travail en Allemagne en 2012.

L'Espagne est donc redevenu, en quelques années, la terre d'émigration qu'elle avait longtemps été. Curieux, non ? Le pire, c'est que personne n'émigre pour son plaisir ou pour s'enrichir personnellement. On part juste parce qu'il y a plus de possibilités ailleurs, mais au fond, on ne voudrait pas tellement renoncer aux embutidos, au soleil et à la mer, aux tapas et fiestas qui font que l'Espagne, malgré la douleur, est encore un pays où il fait bon vivre. 

Pourtant, beaucoup fuient, aussi. Fuir, c'est se retirer, se faire oublier. Éviter une situation, sans chercher forcément mieux autre part. Quand on fuit, tout fait office d'alternative crédible. Dans cette situation-là, on trouve un groupe énorme de gens qui actuellement peuplent les terminaux des aéroports espagnols : les immigrés, d'Amérique latine, d'Afrique ou d'Europe de l'Est. Venus à l'époque du boom immobilier, ils repartent en masse depuis 2010 dans des pays qui, en grande majorité, se portent aujourd'hui beaucoup mieux économiquement. Sur presque un million de départs depuis 2011, plus de 80% sont le fait d'immigrés.

Enfin, il y a aussi les Espagnols qui fuient. Sans diplômes, sans expérience, ils partent à l'aventure dans des pays dont ils ne dominent pas la langue et où ils se retrouvent souvent au fond des restaurants. Le désespoir explique souvent ce genre d'histoires, comme le montrait un très bon reportage qui suivait des Espagnols en Norvège. S'ils sont là, c'est qu'il n'y avait vraiment rien de bien pour eux en Espagne.

C'est quelque chose qui vous fend l'âme, même sans être espagnol soi-même. Un pays incapable d'offrir un avenir ou des perspectives à ses jeunes peut-il vraiment avancer vers l'avenir ? On en doute. L'Espagne continuera ainsi à perdre des habitants jusqu'en 2022. L'Institut national des statistiques (INE) prévient même que le pays vivra "le vieillissement des travailleurs le plus intense et rapide de son histoire". Pour l'éviter, il faudrait que l'Espagne fasse tout pour améliorer les conditions de travail et les salaires, attirant ainsi de nouveau les jeunes et les immigrés. Au moment où le chômage atteint un quart de la population active, on peut toujours rêver.

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