samedi 12 janvier 2013

Les Rois Mages et le Roi Bourbon


En classe, j'aime bien faire des petits sondages. C'est une des techniques que tout prof connaît pour faire passer l'heure un peu plus vite. Mais je le fais aussi par curiosité personnelle. Je me dis qu'ainsi, je frôle du doigt 'l'opinion publique' espagnole, j'ai à voir ce que dit la rue mais en classe. C'est très éclairant quand il s'agit de parler de la crise avec des élèves dont beaucoup sont chômeurs par exemple. Mais c'est aussi parfois insolite. 

Ainsi donc, je donnais des cours à six enfants de 10 ans que j'adore, des véritables choux à la crème, intelligents, sérieux et drôles. Des enfants à qui tout prof dépressif aimerait donner cours, tant ils vous surprennent constamment.

Avant Noël, ils m'ont surpris plus encore. Je leur ai demandé s'ils croyaient à Papa Noel et s'ils lui avaient écrit une carte : visages sceptiques ou de rejet de leur part, le père Noël n'a manifestement pas tellement bonne presse en Espagne, tant les enfants attendent plutôt le 6 janvier et l'arrivée des Rois mages et de leurs chameaux. 

Folklore

Tout le folklore des fêtes entoure non seulement la naissance du Christ et le Papa Noël, mais aussi Melchior, Gaspard et Balthazar. On peut les voir poser en photo avec les enfants faisant la queue près du Corte Inglés de Preciados, à Madrid. Le 5 janvier, des grandes villes aux quartiers périphériques, des pueblos aux capitales de provinces, chacun organise une "cavalcade" des rois en chameaux, accompagnés de saltimbanques, personnages de contes de fées et chariots fleuris crachant des bonbons par centaines. C'est drôle, mais restons-en là, parce que c'est juste du folklore.

Surprise, donc : lorsque je demande aux petit bouts de choux auxquels j'enseigne s'ils croient aux Rois mages, le débat surgit entre eux. Une seule qui répond non, les deux autres si, certains ne savent pas, et le plus savant d'entre eux me répond doctement qu'il pense que les Rois mages existent, mais qu'ils ne distribuent pas les cadeaux. 

À y réfléchir, je me rends compte que c'est la première fois que j'entends vraiment parler des enfants éduqués dans la religion chrétienne. La même qui vous fait croire enfant qu'on descend d'Adam et Ève, que Jonas s'est retrouvé dans une baleine ou qu'un buisson en feu a parlé à Moïse. Celle aussi qui vous raconte que les Rois mages existent vraiment. 

On pourrait très bien dire que ce ne sont plus des figures religieuses, il reste que des enfants de dix ans croient aux Rois mages. Des enfants intelligents, et même un probable surdoué, pensent que Gaspard, Melchior et Balthazar sont là quelque part pour veiller sur nous. 

Annus horribilis

D'une certaine façon, chacun a ses rois. Tandis que les enfants laissaient un encas et du lait pour les rois des trois continents, cette année, les Espagnols ont vu arriver un autre Roi, le leur, Juan Carlos Ier, Sa majesté Juan Carlos Alfonso Víctor María de Borbón y Borbón-Dos Sicilias

Il n'est pas très habitué des apparitions télévisées, et pourtant, le 4 janvier dernier, sa royale couronne lui a suggéré de monter une interview toute préparée à la télé publique, J'ai lu la retranscription, et je peux vous certifier que les 20 minutes d'entretien peuvent tout à fait se résumer à ça : 


L'année 2012 n'a pas été très bonne pour Don Juan, la vérité, elle a même été complètement horribilis. Un beau-fils empêtré dans un scandale de corruption et de népotisme, une chasse à l'éléphant au Botswana qui se termine aux urgences, à la grande stupéfaction des Espagnols. On apprend alors que le Roi était en Afrique avec son amante, payant des dizaines de milliers d'euros pour avoir le privilège de tuer des animaux de la savane, chose qu'il fait depuis même des années. L'histoire s'est finie dans un couloir d'hôpital, avec un Juan Carlos piteux, affirmant "Je suis désolé. Je me suis trompé, cela ne se répétera plus."

Ça a l'air bête, comme ça, mais j'ai bien vu, grâce à mes petits sondages en classe, que parmi nombre de mes élèves, quelque chose s'était brisé. Juan Carlos Ier ne serait plus, désormais, le roi de la démocratie, celui qui avait réussi à unir tous les Espagnols et à mettre en marche un pays nouveau, tout en respectant la volonté du peuple. Ce Roi-là semble avoir laissé la place à un autre, à un homme d'affaires conservateur qui ne se refuse jamais le petit plaisir seigneurial d'une partie de chasse avec sa favorite. Ça la fout mal, oserait-on dire.

Il fallait récupérer cette image sinistrée. Faire quelque chose. Donc le Roi a fait, sous le regard attentif du service comm' du palais de la Zarzuela. On l'a vu en voyage partout dans le monde, vendant les services espagnols, vantant le savoir-faire ibérique et, en passant, se plaignant de la quantité de travail qu'exige sa fonction royale. Et puis, une petite lettre contre la menace sécessionniste de la Catalogne, malgré la neutralité qu'il se doit de garder. On l'a vu aussi donner une interview au New York Times et, là encore, la grosse gaffe n'est pas très bien passée. Les journalistes du quotidien, ne pouvant se résoudre au silence de Sa majesté face aux questions trop gênantes, ont fini par découvrir et révéler que la fortune personnelle de Juan Carlos se chiffre à 2 milliards de dollars. Pour quelqu'un qui ne devrait se mêler ni de politique ni d'affaires, garder un rôle neutre et surtout, vivre uniquement de ce que les Espagnols veulent bien lui concéder, ça la fout encore mal. Ajoutez à cela le fait que l'interview accompagne des photos difficiles de la crise en Espagne, et tout le mythe du roi modeste, vivant dans un petit palais et gagnant 'seulement' quelques millions d'euros s'effondre. 

En ce début 2013, l'omniprésence du Roi bourbon n'augure rien de bon. Les sondages (les vrais, cette fois) montrent une baisse constante de sa popularité, jusqu'à la limite des 50% en 2012. La monarchie, elle, est depuis des années également en baisse, et la majorité des jeunes espagnols souhaite aujourd'hui une république. 
Dans cette crise économique à l'allure politique, l'Espagne avance et se désillusionne. Elle se débarrasse peu à peu des croyances, des icônes, et voit la réalité : celui qu'elle considérait presque comme un Roi mage est devenu un Roi bourbon, pétri de privilèges et usé par des décennies de règne.
  
Bercer des enfants ou des adultes grâce à de jolis contes royaux, avec des chameaux, des cavalcades, des palais modestes, des monarchies pseudo-libres, des entretiens télévisés bidons, ça n'enlève rien au fait que tout ça, au fond, ne sont que des histoires.

1 commentaire:

  1. Ce serait au peuple d'avoir la fève maintenant ! Les erreurs du Roi et la crise font peu à peu évoluer les mentalités du peuple - C'est con à dire mais c'est dans tout ce mal que née peu à peu la flamme de l'espoir d'un nouvel avenir, d'un nouveau souffle.
    Maintenant faut voir ce que le peuple veut faire et peut faire ! Mais aujourd'hui, ce dernier verra forcement toutes les petites conneries que fera le Roi - qui a une épée de Damoclès au dessus de la tête.
    En parlant de roi, finira t'il comme le roi Dagobert ? On en profitera pour lui botter le derrière !

    PS : Sympa l'article, on le lit comme ci c'était un conte :)

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