vendredi 14 décembre 2012

Un rescate pour 2013


S'il n'y avait qu'un mot à garder en espagnol pour l'année 2012, c'est rescate. Sûrement l'un des termes les plus utilisés dans les médias et même dans les conversations politiques. Plan de sauvetage ou de secours, si c'était en France. Un mot qu'on ne retiendra sûrement pas dans ceux qui ont fait 2012 à Paris. Alors, pourquoi ici et pas là-bas ? 

On aurait tort (quoique) de résumer l'usage de rescate au simple fait que l'Espagne s'est profondément enfoncée dans la merde cette année. Le mot est apparu seulement quelques fois dans la presse, on l'a sûrement murmuré dans les cercles politiques ou les milieux d'affaires, avec une certaine crainte. C'était au début de l'année, on ne savait pas encore ce que Rajoy et Merkel nous concoctaient. Alors forcément, le rescate, c'était le mal. Un rescate, c'est pas pour l'Espagne, son économie fonctionne malgré tout, les marchés ont confiance en elle. 

Et puis, les mauvais résultats économiques, la réforme du travail, les grèves et les recortes arrivent. Les agences de notation achèvent le travail de "décrédibilisation" de l'Espagne auquel s'affaire le gouvernement Rajoy depuis son arrivée. Mais la touche finale, sans aucun doute, c'est Bankia. Un conglomérat d'actifs toxiques qui était formé de l'union de sept caisses d'épargne surendettées en 2010, contrôlées par la caisse de Madrid, majoritaire. L'ancien directeur du FMI, Rodrigo Rato, est placé à la tête de l'entité, on se dit qu'il ne fera sûrement pas un mauvais boulot. Toujours est-il que la banque, avec l'aggravation de la crise, se retrouve avec 32 milliards d'euros d'actifs douteux, 3 milliards de pertes, que Rodrigo Rato démissionne avec grand fracas et que son successeur, José Ignacio Goirigolzarri, demande 24 milliards à l'Etat espagnol. Évidemment, désormais, le mot rescate est sur toutes les bouches et tous les yeux se tournent vers la prima de riesgo

Tout le monde dit rescate

En ce joli mois de juin 2012, je suis en France pour les vacances. À chaque fois, il m'arrive toujours des petites choses qui me font sentir que je n'y habite plus depuis longtemps. Normalement, ce sont les mœurs bizarres des Parisiens, la froideur du climat ou le très bon fromage qui me paraissent presque exotiques. Or, cette fois, le choc est rude : je réalise combien les Français sont loin de toute la grosse crise qui se déroule au sud des Pyrénées. Je me souviens d'une personne me demandant si c'était vrai qu'en Espagne, tout le monde ne parlait que de la dette publique et de la prime de risque. 

C'est bien vrai. La prime de risque (la différence entre taux d'intérêts espagnol et allemand dans la vente et achat des bons du trésor) fait même l'objet d'un petit compte-rendu tous les soirs au journal de la principale chaîne publique, TVE. À titre de comparaison, elle a atteint son point le plus bas en février à 300 pp, a atteint le pic de 638 en juillet et est revenue désormais autour de 400, mais devrait remonter avec les élections italiennes et les incertitudes au sein de la zone euro.
Si cette prime est importante, c'est qu'elle définit à quel taux l'Espagne se finance et s'endette. Or, ce taux a atteint les 7% cette année sur les bons à 10 ans, et est proche aujourd'hui des 5%. Pas besoin d'être expert en économie pour savoir qu'une dette publique aux taux d'intérêts si prohibitifs risque d'hypothéquer gravement l'avenir des Espagnols, qui devront passer des décennies à les rembourser par leurs impôts. Dans un pays qui a connu une grave crise immobilière et qui reste l'un de ceux en Europe où la dette privée est la plus élevée, c'est stupide de doubler tout cela d'une dette publique qui atteindra 90% du PIB en 2013, contre 37,3% en 2007.

Rajoy veut pas

Dans ces cas-là, il y a une solution : le rescate. On se finance à moindre coût, on dispose d'argent frais lorsqu'on en a besoin. Mieux : alors que n'importe quel autre pays refuserait le rescate, par souci de préservation de la souveraineté nationale, en Espagne, ça fait déjà des années qu'on suit les directives de Berlin, avec plus ou moins d'indépendance. Et le rescate bancario qui, lui, est bien en train de se mettre en place, impose déjà des conditions drastiques à travers le fameux Mémorandum d'entente que l'Espagne a signé en juillet 2012. Alors, si on souffre les règles du rescate mais que seule la banque en profite, pourquoi ne pas demander un rescate en bonne et due forme ? Parce que Rajoy veut pas. 

El País a fini par le lui demander récemment : Rescate urgente. Vous trouverez sans doute la situation pathétique et vous aurez raison. D'un côté, des médias, des politiques, des économistes et des citoyens qui demandent le rescate. De l'autre, un Président de gouvernement qui vacille, doute, s'interroge, fait durer le suspense parce qu'au fond, il a peur de perdre des millions de voix en prenant le risque de demander de l'argent à une Allemande. La même Allemande qui regarde vers ses propres élections en 2013 et craint de perdre aussi des voix avec un rescate espagnol. Alors, on attend que chacun d'entre eux se décide. C'est donc ainsi que les intérêts personnels de deux politiciens passent avant l'intérêt d'une nation entière. C'est donc ainsi qu'on entre dans 2013 sans savoir comment le gouvernement remplira les caisses.

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