jeudi 27 décembre 2012

Immobilier toxique

Tandis que des millions d'Espagnols fêtaient comme ils pouvaient Noël, avec peut-être moins de cadeaux mais sans doute autant de gambas, percebes et cava engloutis qu'auparavant, des choses étranges se passaient du côté du FROB. Le Fonds de restructuration bancaire ordonnée se gavait, lui, d'autre chose : des millions d'actifs dits toxiques dont la banque ne veut plus. De l'immobilier pour la plupart, et aussi bien des maisons neuves mais désespérément vides que des immeubles à moitié construits. La note, quant à elle, est salée : 37 milliards d'euros de biens ont ainsi été transférés des banques nationalisées (Bankia, NCG Banco, Catalunya Banc et Banco de Valencia) au FROB entre le 23 et le 26 décembre. On dit "transférés", pour ne pas dire littéralement estimés et rachetés grâce à un financement venant en grande partie des fonds publics. La Sareb, qui fonctionne comme structure de défaisance, se chargera de vendre, louer ou détruire les biens immobiliers dont elle disposera. 

Il suffit de se faire une petite balade en voiture en Espagne pour s'en rendre compte : à l'entrée ou à la sortie des villes, elles pullulent, les millions de maisons identiques ; les immeubles flambant neufs, les coquettes villas, voire les résidences sur la côte d'un mauvais goût tel qu'il faudrait être payé pour y passer ses vacances. En m'installant en Espagne, je n'y avais pas trop prêté attention. Après tout, des urbanisations telles, on en voit partout aujourd'hui, c'est le destin de toute économie qui se développe... Puis, avec les années, je remarque combien de chantiers, que je croyais en activité, sont en fait arrêtés. Beaucoup même. 

Rêve américain cheap

Il m'arrive alors de me rendre une ou deux fois dans une ville nouvelle. De celles qui se trouvent aux périphéries de Madrid, avec de grands immeubles adossés les uns aux autres, séparés par de larges avenues parallèles  On n'y aperçoit pas grand-monde, sauf des jeunes parents, mais surtout, c'est effroyablement triste. Très peu de commerces de proximité, pas de vie de quartier, le vent nocturne s'engouffrant dans les artères de la ville vous glace parfois le sang, si ce n'est le silence qui s'impose à vous. 
Or, il y a une explication toute bête à cela : de par leur position géographique, ces villes, qui auraient pu être intéressantes lors du boom immobilier, se révèlent lointaines et peu accessibles depuis la crise. Mieux vaut encore, avec des prix aujourd'hui si bas, acheter dans le centre ou dans une zone plus commerçante. Résultat : il ne manque que des habitants à ces villes, devenues pleines "d'actifs toxiques"; en gros d'appartements vides. 

Tout cela peut passer quand on n'est pas encore allé à pire endroit. Il y a une ville dont je n'aurais sans doute jamais entendu parler dans ma vie si une amie ne s'était pas décidée à s'y installer. C'est Illescas, dans la province de Tolède mais à une demi-heure en voiture de Madrid. En pleine meseta castillane, un petit bourg comme les autres pensait pouvoir s'enrichir avec l'aubaine immobilière. Il devait logiquement se développer, puisqu'il se trouve sur la route de Madrid, une ville dont les prix ne cessaient de grimper, et où la population cherchait alors à s'éloigner, quitte à se retrouver à Illescas. 

Alors on y construit, comme partout, des maisons qui aujourd'hui ne trouvent pas preneurs. Quelle tristesse, en arrivant, de voir que rien n'a été planifié correctement. Les rues vont dans tous les sens, les terrains vagues se succèdent entre les blocs de maisons. Ici, aucun commerce, sauf ceux de la zone industrielle. Pas de parc, ni de services sociaux, de toute façon on accède à tout en voiture. En attendant des acheteurs, les promoteurs louent les appartements à des sommes dérisoires, atteignant parfois 3€ le mètre carré en location. Et pourtant, la grande majorité des maisons sont vides, sauf certaines dont, paraît-il, les chinois venus d'autres banlieues de Madrid raffolent.

Dans le jargon financier, ces biens immobiliers sont des actifs toxiques ; dans la réalité, des semblants de rêve américain cheap, des villes-zombies et des banlieues mornes qui n'auraient sans doute jamais dû être construits. C'est surtout un crime contre la vie espagnole même, celle qui se déroule dans la rue, sur les places, dans les petits commerces et les espaces communs.

Or, ces actifs toxiques avaient une valeur. Ils ont permis aux banques, promoteurs industriels, politiques locaux et nationaux de s'enrichir pendant des années sur le dos des générations futures, à qui ils lèguent aujourd'hui un patrimoine immobilier immense et inutile. A l'Etat, donc, de faire le sale boulot, et à travers le FROB, d'essayer de tirer un millième de bénéfice de ces maisons-là. La mission sera sans doute impossible. En attendant, joyeux Noël.

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