vendredi 7 décembre 2012

Privatiser la santé

Ça a commencé par une simple signature. Dans la salle de classe, quelques élèves adultes viennent d'arriver et l'un d'entre eux surgit avec une feuille à la main, demandant, imposant presque, à chacun d'entre nous de signer sa pétition. Contre la décision prise par la région de Madrid de convertir l'hôpital La Princesa en un centre de santé spécialisé pour personnes âgées. Géré par une entreprise privée. 

Première fois que je vois, en tant que professeur de français, mes élèves montrer des positions politiques claires et surtout, un engagement écrit et oral afin de lutter contre la politique menée par la région en matière de santé publique.

Quelle idée, non ? Privatiser la gestion de la santé. J'en avais vaguement entendu parler, ou alors c'est que j'avais lu un article dans Libération à l'époque où je vivais encore à Paris. Or, serait-ce pécher par ingénuité que de penser que la santé devrait rester, avec l'éducation, un des domaines à ne jamais connaître l'appât du gain, le bénéfice, les actionnaires, le capital ? Apparemment oui, car ce n'est pas qu'un seul hôpital que Madrid voudrait confier aux bonnes mains d'entrepreneurs privés, mais bien six, ainsi que 10% des centres de santé que compte la capitale ibère. 


La première question que suscite cette décision : pourquoi ? On serait stupide de croire les arguments développés par celui qui est à l'origine du plan, à savoir, le conseiller chargé des questions sanitaires au sein de l'équipe régionale, Javier Fernández-Lasquetty. Avertissant, "Il n'y a pas de négociation possible", le supposé spécialiste donne une interview des plus absurdes à El País, et affirme "Ce n'est pas privatiser. Ce que nous faisons, c'est externaliser la gestion."

"Externaliser" est le nouveau mot pour ne pas parler de privatisation, donc. Sauf qu'au fond, on a peine à croire que la gestion de la santé publique soit si catastrophique qu'elle ait besoin d'être transférée au privé qui, c'est bien connu, sait beaucoup mieux que ces fainéants de fonctionnaires comment éviter la ruine. Au niveau de l'Etat, les comptes de la Sécurité sociale ne sont pourtant pas au rouge vif, malgré la crise. Certaines communautés autonomes, comme le Pays basque, ont pu éviter de faire des coupes budgétaires dans la santé. 
A Madrid, c'est bien l'élection d'Esperanza Aguirre, en 2003, qui bouleverse le secteur sanitaire. La présidente de région, de droite, trouve 21 hôpitaux publics à son arrivée et quitte son poste en 2012 en laissant un établissement sur trois géré par une entreprise privée. Des entreprises qui n'ont pas prouvé que leur gestion était meilleure que dans le 100% public. Et une communauté madrilène qui poursuit, têtue, son plan de privatisations dans la santé, alors qu'elle n'a pas non plus été capable de gérer correctement le budget régional et se retrouve aujourd'hui avec une dette approchant le milliard d'euros, et ce malgré de très bons résultats économiques dans la région durant la dernière décennie. 

Main basse sur le pactole

Ce n'est pas un secret, l'année 2012 a été dure en Espagne. La majorité des citoyens ressent la crise, le chômage touche tous les secteurs, des millions de familles vivent grâce à la seule retraite des grands-parents tandis que d'autres rentrent chez eux la boule au ventre, appréhendant d'ouvrir l'avis d'expulsion qu'ils s'attendent à recevoir. Cette satanée crise a bien dû atteindre les hautes sphères. 
Aujourd'hui en Espagne, impossible donc pour les élites de faire de l'argent facile avec l'immobilier ou le tourisme. L'argent n'entre plus. Par contre, il y a un secteur qui résistera à la crise. Un secteur qui devrait se bonifier à mesure que la population vieillit, et qui promet de mirobolants bénéfices. La santé, c'est l'avenir ! Des bénéfices à deux chiffres ! Alors, comment se résoudre à laisser un tel trésor aux mains de l'administration ? Il suffirait pourtant de convaincre tout le monde que la santé gérée publiquement est au bord du désastre, que la seule solution réside dans "l'externalisation" et, avant toute chose, d'habituer doucement les patients à payer pour se soigner. Ce qui expliquerait pourquoi la communauté madrilène a tenté d'imposer le ticket modérateur d'un euro avant de se faire retoquer par le gouvernement central. Il faudra donc attendre encore un peu avant d'avoir une véritable santé privée. 

Le rêve des mutuelles santé est cependant sur le point de franchir une nouvelle étape : septembre 2013, conclusion du plan "d'externalisation". A moins que ne s'engagent contre ce plan les citoyens, les personnels de santé et tous ceux qui tiennent à protéger ce que leurs ancêtres ont toujours rêvé d'obtenir : le droit à la santé.

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