lundi 11 février 2013

Los vergonzosos sinvergüenzas

"Qué vergüenza", "son unos sinvergüenzas" ou encore "no tienen ninguna vergüenza", c'est ce que j'aurai entendu de tous les côtés cette semaine. Vous avez sans doute ouï dire du tsunami politique qui agite la droite espagnole actuellement, des petits papiers comptables de Bárcenas aux grandes enveloppes bourrées de donations et salaires a priori illégaux du Parti Populaire. Rajoy est on ne peut plus mal, comme on l'espérait ici il y a peu, et sa conférence de presse la semaine dernière avec Merkel montrait un Président du gouvernement qui, sous de faux airs de fermeté et de calme, commence réellement à s'inquiéter. Au point d'en faire même tomber son stylo : 


Autre grand moment, le fameux "tout est faux, sauf peut-être une chose juste". Hmm. C'est curieux de pouvoir à la fois nier tout en bloc et reconnaître un détail comme véridique. Type, "je n'ai jamais voyagé, sauf cette fois où je suis allé à Tahiti". 

Bref, c'est peu dire que de constater que les Espagnols sont actuellement blasés par les sinvergüenzas qui pullulent. Car s'il est une chose qui, en théorie, régit les comportements sociaux des gens vivant en Espagne, c'est la vergüenza. Comment traduire en français ? On hésite entre la honte, la gêne et la pudeur. C'est un peu de tout à la fois. C'est de la vergüenza qu'on ressentirait si on se retrouvait en sous-vêtements en public. C'est aussi de la vergüenza qu'on a quand on n'ose pas demander une boisson lorsqu'on est invité et que l'hôte n'a pas eu la considération de vous proposer quelque chose à boire. Enfin, c'est également la vergüenza qui devrait retenir la main de celui qui, dans un parti politique quelconque, reçoit une enveloppe pleine de billets. Et c'est bien là que ça couille.

Vivre ensemble

En France, le cliché a tendance à décrire les Espagnols comme des personnes joviales, fêtardes et pas très sérieuses. Or, il ne faut pas s'y fier, car l'Espagnol est seulement d'apparence joviale. C'est la vergüenza qui lui a enseigné depuis toujours à paraître plus heureux qu'il ne l'est par respect des conventions sociales. Il y en a beaucoup et parmi elles, le fait de râler, par exemple, est très mal considéré. Expérience vécue très souvent par le Français râleur que je suis : à se plaindre du boulot, de quelqu'un ou d'un événement, la réponse se résume souvent en un mot : "aguanta", soit "supporte" ou "tiens bon" en quelque sorte. Comme la vergüenza s'impose à tout un chacun, il est nécessaire d'apprendre à ne pas dépasser les limites et à savoir toujours où s'arrête sa propre liberté.

Cela donne un avantage à l'Espagne : les gens y sont naturellement très souvent ouverts et il y règne une ambiance de "vivre ensemble" plutôt agréable, de celle qui manque en France. Mais demeure un véritable problème : ceux qui se fichent des conventions sociales sont légion.

Sans-gêne

Apparaît donc le sinvergüenza : sans-gêne qui, par son comportement, bafoue les bonnes règles du vivre ensemble. Et là, en vérité, tenter de saisir ce qui est tolérable et ce qui ne l'est pas est une entreprise aussi vouée à l'échec que chercher la quadrature du cercle. 

Au début, c'est très facile de se rendre compte que beaucoup de choses sont tolérées. Tutoyer au premier abord, parler comme un charretier, boire dans la rue, arriver en retard, faire des blagues de mauvais goût sont quelques exemples de ce qui peut se pratiquer à petites doses. Être drôle et familier avec les autres sont en soi des qualités très apréciées. Dans le métro, ce n'est pas forcément une agression si quelqu'un vous touche au niveau de la taille pour vous demander si vous allez sortir (dur de s'habituer à çui-là). 

Puis on vit en Espagne, on y travaille, et on réalise que les codes sociaux ne tolèrent pas certaines choses. Comme je l'ai dit plus haut, les râleurs sont définitivement écartés du champ social puisqu'ils ne respectent pas la règle du "supporte en silence". Mais concernant la corruption ou l'économie informelle, un double discours émerge : il y a celui qui la tolère parce qu'on ne peut pas l'empêcher, elle fait partie du système, et celui qui trouve cela intolérable. 

Pendant longtemps, je crois que beaucoup de gens en Espagne ont préféré fermer les yeux sur cela. Croire qu'un boom économique pouvait se faire sans trop de corruption, c'était mieux que réaliser que l'Espagne restait un pays corrompu (il faut rappeler les graves affaires de corruption qui ont entaché la gauche dans les années 90). Finalement, travailler au noir n'est pas si grave si c'est le seul moyen pour un business de survivre. Des pots-de-vin, il y en a partout, que peut-on y faire. Les politiques aussi, on sait depuis bien longtemps qu'ils s'en mettent plein les poches.

Mais avec la crise, une sorte de conscience politique de la grave situation à commencer à prendre et à monter en Espagne, faisant fi même des conventions sociales.

Quand je suis arrivé en 2007, la politique, on n'en parlait pas trop. En parler, c'était risquer de diviser à cause d'un débat, d'ennuyer ceux qui n'en ont rien à foutre et c'était surtout vu comme le meilleur moyen de casser l'ambiance. Mais avec tout ce qu'on a vécu par ici depuis 2011-2012, la société s'est réveillée, et parle. Le 15-M a d'ailleurs été décisif en ce qu'il a commencé à dire tout ce que les gens "supportaient" sans rien dire. Socialement, c'était encore impensable en 2007 de tenir des assemblées dans la rue pour débattre des problèmes de société et voter pour trouver des solutions. Ce qui a eu lieu en 2011. Même les médias s'y mettent et ces temps-ci, El País et El Mundo apportent chaque jour leur lot de révélations sur le scandale qui secoue le PP, et met à jour une pratique que les conventions sociales avaient préféré garder sous silence.

L'affaire Bárcenas, la révélation des sommes indûment perçues par Rajoy pendant plus d'une décennie, finalement, c'est un soulagement. Il semble que le fardeau moral qui dominait l'Espagne prospère s'est levé. Les affaires se multiplient et la justice trouve chaque jour de quoi enquêter. Le dernier sondage d'opinions montre d'ailleurs que les révélations ont leurs effets, et que la droite a perdu en un an les électeurs qu'elle avait réussi à réunir

La crise a cela de bien qu'elle régénère. Et si personne ne sait ce vers quoi l'on se dirige, on espère au moins une chose : que les vergonzosos sinvergüenzas ne fassent pas partie du paysage futur.

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